L'Insectarium de Strasbourg, installation de haute sécurité pour expérimenter sur les moustiques
Publié le 07.12.2023
Dengue, paludisme, chikungunya, Zika, fièvre du Nil occidental... Les maladies transmises par les moustiques sont nombreuses, parfois mortelles et de plus en plus répandues. Labellisé IBiSA depuis 2020, l’Insectarium de Strasbourg est une référence nationale dans le domaine de la biologie moléculaire, des infections expérimentales et de la transgénèse sur les moustiques. Dans des locaux entièrement équipés, isolés et sécurisés, la plateforme décortique les mécanismes d’infection chez l’insecte et teste des stratégies génétiques innovantes pour freiner la transmission de pathogènes à l’Homme.
A la faveur du réchauffement climatique, les maladies tropicales transmises par les moustiques ne sont désormais plus rares sous nos latitudes. C’est le cas de la dengue, véhiculée par le moustique tigre Aedes albopictus, présent dans plusieurs pays d’Europe. Son territoire s’étend progressivement vers le nord à mesure que la planète se réchauffe. De fait, alors que la France métropolitaine enregistrait moins de 13 cas autochtones (1) de dengue par an entre 2010 et 2021, 65 cas ont été recensés pour la seule année 2022. « Cette évolution est préoccupante, même si nous disposons de plans d’action assez efficaces pour limiter la transmission dès qu’un cas est détecté, comme la démoustication des endroits qui ont été fréquentés », précise Jean-Luc Imler, professeur de biologie à l’Université de Strasbourg.
« Le risque d’épidémie est cependant accru par le fait que la dengue est difficile à déceler, car souvent asymptomatique ou similaire à une grippe », insiste le chercheur qui est aussi responsable scientifique de l’Insectarium. Cette plateforme technique de l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) inaugurée en 2018 travaille sur des stratégies visant à bloquer la transmission des maladies ou à soigner les personnes atteintes. Elle explore notamment les mécanismes d’infection à l’échelle du moustique dans le but, à terme, de prévenir les flambées épidémiques grâce à la mise au point de nouvelles méthodes de lutte fondées sur la transgénèse et le génie génétique.
Un bâtiment adapté à l’élevage de moustiques et aux infections expérimentales
L’Insectarium s’intéresse principalement à trois genres de moustiques vecteurs de maladies infectieuses : les Aedes, qui transmettent le virus de la dengue, du chikungunya et de Zika, les Anopheles, qui véhiculent le parasite du paludisme, et les Culex, vecteurs du virus de la fièvre du Nil occidental. La plateforme dispose d’équipements de pointe pour l’élevage, l’infection et l’étude de moustiques, aussi bien sauvages que transgéniques.
D’une superficie de 270 m², l'installation est dotée de huit chambres climatiques avec des systèmes de ventilation très performants. Ces compartiments sont parfaitement isolés de l’environnement extérieur. Afin de prévenir tout risque de contamination, la culture des pathogènes, l’infection des insectes et la manipulation des individus infectés sont réalisées dans un module séparé de niveau de sécurité biologique 3 (L3) (2) avec accès contrôlé, caméras et reports d’alarme en cas de danger. Les moustiques y sont maintenus dans des cages recouvertes de moustiquaires installées dans des enceintes étanches qui sont elles-mêmes placées dans des zones en dépression. « Des boîtes dans des boîtes », relate Ludivine Ramolu, responsable technique et sécurité de la plateforme. En tout, l’Insectarium héberge une centaine de lignées de moustiques.
Renforcer la résistance des moustiques pour rendre leurs piqûres inoffensives
Une des spécialités de la plateforme est de générer des populations de moustiques génétiquement modifiées. Celles-ci sont utilisées pour analyser la fonction des gènes des moustiques, ou dans des stratégies destinées à réduire leur compétence vectorielle. L’idée est dans ce cas de limiter la transmission de pathogènes à l’Homme lorsqu’il se fait piquer, par exemple en intégrant dans le génome des insectes un gène d’intérêt qui amplifie leur réponse immunitaire et leur résistance vis-à-vis des parasites ou virus contractés.
Pour confectionner leurs mutants, les scientifiques ont recours à une panoplie d’outils parmi lesquels le système CRISPR-Cas9, ces fameux ciseaux moléculaires qui permettent de couper l’ADN à un endroit précis du génome. L’intégration de transgènes est particulièrement efficace sur les œufs de moustiques du genre Anopheles. « On introduit, à l’aide d’une aiguille ultrafine, un plasmide dans la partie postérieure de l’œuf, là où vont se développer les ovules ou spermatozoïdes du futur moustique », décrit Stéphanie Blandin, chercheuse Inserm spécialiste des maladies infectieuses et parasitaires à l’IBMC. Le plasmide inoculé est un fragment d’ADN circulaire qui intègre à la fois le système CRISPR-Cas9, un gène codant une protéine fluorescente, et la séquence génétique d’intérêt. Les larves de moustiques de la génération suivante, descendant des œufs injectés, sont ensuite placées sous une loupe binoculaire : celles qui émettent de la fluorescence sont celles qui ont intégré le transgène. Une fois le tri effectué, à la main ou de manière automatisée, les moustiques mutants sont mélangés à des souches de moustiques sauvages. Objectif : brasser les génomes et vérifier que le gène d’intérêt persiste après plusieurs générations. Le phénotype associé est alors testé et caractérisé lors d’infections expérimentales.
Ces opérations de transgénèse constituent la base de nombreux projets. L’un d’eux a consisté à rendre Anopheles gambiae, le principal vecteur du paludisme, plus résistant à Plasmodium falciparum. D’abord en induisant la production d’un anticorps qui neutralise le parasite, mais aussi en supprimant un gène du moustique bénéfique à la multiplication du pathogène. Ces modifications désirables peuvent être généralisées à une population entière de moustiques par forçage génétique (3) avec le système CRISPR-Cas9.
Éliminer ou masculiniser les moustiques femelles pour les rendre incapables de piquer
Les locaux, équipements et savoir-faire de l’Insectarium ont également été mis à profit pour examiner le fonctionnement du gène Nix chez le moustique tigre Aedes albopictus vecteur de la dengue. Ce gène n’est manifestement présent que chez les mâles. En lui associant un gène exprimant une protéine fluorescente, il est possible d’effectuer un tri automatique sur des centaines de milliers de larves de premier stade pour ne garder que les mâles. Ces derniers pourraient être stérilisés pour servir dans des interventions de lutte par la technique de l’insecte stérile (4), qui vise à réduire, voire éradiquer une population de moustiques donnée. En parallèle, les chercheurs étudient la possibilité de conférer à Nix une propriété de forçage génétique. Car le gène est à lui seul capable de transformer une femelle en mâle. Répandu dans la nature, il pourrait convertir l’ensemble des femelles de l’espèce, les rendant incapables de piquer, et donc de transmettre des virus, tout en faisant chuter leur effectif.
Ces expériences, confinées au laboratoire, alimenteront le débat autour des stratégies de lutte employées contre les moustiques. Mais contrairement aux méthodes classiques comme la lutte insecticide, les stratégies génétiques présentent l'avantage d’éviter les maladies de manière ciblée, sans impacter les autres espèces de moustiques et d’insectes, limitant ainsi les conséquences sur les écosystèmes et l'environnement. Un défi majeur reste cependant à relever, car « si la mutagénèse dirigée avec CRISPR-Cas9 fonctionne bien sur les œufs d’Anopheles, elle est beaucoup plus délicate à mettre en œuvre sur les œufs d’Aedes, qui semblent partiellement réfractaires à l’action des ciseaux moléculaires », explique Eric Marois, chercheur Inserm à l’IBMC. Dans le cas de la dengue, le chemin vers la mise au point d’une stratégie de lutte reposant sur le génie génétique pourrait donc prendre encore un peu de temps. Les investigations menées à l'Insectarium n’en demeurent pas moins essentielles, à l'heure où le moustique tigre et ses petits camarades ne cessent de gagner du terrain.
Notes
1 Un cas est dit autochtone lorsque le virus est transmis sur place par un moustique ayant piqué une personne de retour de régions où la dengue est présente de façon endémique.
2 Laboratoire confiné dans lequel sont manipulés des agents pathogènes de classe 3 susceptibles de provoquer une maladie grave chez l’humain mais pour laquelle il existe une prophylaxie ou un traitement efficace.
3 Le forçage génétique consiste à augmenter la transmission d’un gène d’intérêt au sein d’une population, en vue de la modifier ou de l’éradiquer.
4 Cette technique consiste à relâcher dans l’environnement des mâles stérilisés pour amoindrir les chances de survie des œufs issus de leur reproduction avec des femelles sauvages.
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